Constante macabre

Emotion dans les médias : la présence du ministre de l'Education nationale au colloque annuel organisé par le Mouvement contre la constante macabre signifierait-elle l'adhésion de ce dernier aux valeurs des "pédagogues" ? Remarquons surtout que l'évaluation étant indissociable de l'acte d'enseignement, il est indispensable que le ministre s'en préoccupe et qu'il est rassurant qu'il le fasse en se préoccupant de son impact sur les élèves !

 
Cette présence du ministre n’est pas passée inaperçue et, une nouvelle fois, la remise sous les feux de l’actualité des travaux d’André Antibi a provoqué des réactions courroucées chez de nombreux enseignants.

Il est sans doute rassurant de voir que les enseignants « n’ont pas le sentiment de noter au hasard ». Et ils ont bien raison : ils ne notent certes pas de manière aléatoire, mais leur évaluation est systématiquement biaisée ! Ce constat si facile à mettre en évidence ne date pas d’hier. C’est, en effet, en 1922 que Henri Piéron propose le terme de « docimologie » pour présenter la science relative à l’étude de l’évaluation des apprentissages et tout particulièrement de la manière dont sont attribuées les notes.

Ces recherches initiales ont été reprises à de nombreuses occasions et ont montré une remarquable constance dans leurs conclusions. La notation n’apparaît que de manière très secondaire comme un processus fiable et reproductible. Elle est, a contrario, marquée par une forte variabilité qui peut être très largement expliquée par des facteurs liés aux caractéristiques de l’évaluateur (niveau d’exigence, représentations sur le public évalué, situation personnelle, fatigue…) ou au contexte d’évaluation (enjeu fort ou non, copie contrastant plus ou moins fortement avec celles qui ont été corrigées avant, ordre de la copie dans le processus de correction…).

C’est dans cette même mouvance que s’inscrivent les travaux d’André Antibi qui mettent en évidence l’existence d’une « constante macabre » qui surdétermine la répartition des notes attribuées par un évaluateur pour une épreuve donnée. Ici, les évaluateurs corrigent des copies rendues anonymes, pourtant, si la dispersion des notes reste sensiblement identique d’un correcteur à l’autre, on retrouve tous les effets habituels constatés dans les études docimologiques.

Antibi
              André Antibi

La présence du ministre de l’Éducation nationale au colloque annuel mis en place par le collectif contre la constante macabre constitue un signal intéressant en ce qu’il montre une prise de conscience des dérives potentielles de l’évaluation et des conséquences de ces dernières sur les élèves. Il faut bien considérer qu’il n’y a pas de « fatalité » dans cette situation ; informer les enseignants de ce fait sociologique ne signifie pas les stigmatiser, ni même critiquer leur comportement. C’est une simple manière de faire prendre conscience d’une constante qui impose de réfléchir toujours davantage au processus de l’évaluation.

Il faut toujours conserver à l’esprit que ces notes ne sont jamais sans impact sur l’image de soi des jeunes. Certes, nous savons tous parfaitement que la note n’est pas attribuée à une personne, mais à une production, ce qui devrait aider l’évalué à mettre à distance ce jugement de valeur, malheureusement l’ego n’est que partiellement conscient et contrôlable, ce qui explique que les évaluations négatives ou positives aient un impact fort sur l’idée que l’évalué se fait de lui-même et de ses compétences.

Le problème est à présent posé. Les premières réactions montrent à quel point les enseignants sont sensibles à cette question et souhaitent faire preuve d’objectivité dans leurs évaluations. L’intention est aussi honorable que légitime, mais s’inscrire dans le déni serait regrettable ; il faut accepter d’interroger les modalités d’évaluation mises en place au cours des apprentissages en prenant en compte les effets secondaires induits.

L’évaluation est indissociable des actes d’enseignement ; il serait donc aussi stupide que dangereux pour les élèves d’y renoncer, mais il faut que nous écoutions la parole des chercheurs pour imaginer de nouvelles formes d’évaluation plus efficaces et moins blessantes pour les élèves. À cet égard, l’évaluation par compétences, qui s’inscrit dans une réelle volonté d’impliquer davantage les élèves eux-mêmes dans sa mise en œuvre, peut constituer une solution pertinente en bien des occasions, même s’il est clair que sa mise en œuvre exclusive ne serait pas satisfaisante. Il est des situations dans lesquelles la comparaison sociale, qu’elle soit référée à une norme ou place les élèves dans une situation compétitive, prend tout son sens. Dans ces derniers cas, la note apparaît comme un outil adéquat, mais elle n’est pas « par nature » une garantie d’objectivité ; elle n’est surtout pas une solution pertinente pour toutes les formes d’évaluation.

En ouvrant le débat, André Antibi œuvre utilement et le soutien apporté par le ministre de l’Éducation nationale ne manque pas d’intérêt. Il ne reste plus qu’à poursuivre la réflexion en renonçant par avance aux inutiles polémiques dans lesquelles certains semblent parfois se complaire, oubliant de facto que l’objectif du débat éducatif n’est pas de montrer qu’on a raison « contre les autres », mais de construire collectivement des solutions consensuelles avec le souci permanent et exclusif de la réussite des élèves.

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