Cet article a été publié dans la revue N° 134

 

Cela commence par un élève qui  résout un problème de mathématiques, en classe. Vous,  l’inspecteur, vous penchez vers lui et lui demandez pourquoi  il  a fait cette réponse. Le petit vous regarde un instant, un peu interrogatif, saisit sa gomme et efface tout. 

Vous rencontrez la secrétaire départementale du SE qui vous dit « ce n’est pas normal que des enseignants attendent l’inspection la peur au ventre ».Des parents vous téléphonent pour vous dire que tel enseignant n’est pas bon , que  le programme d’histoire n’est pas  traité dans telle classe. D’autres vous soupçonnent de ne pas envoyer de remplaçant volontairement.

 

Il y a ensuite la surenchère des injonctions, le ou les mails  où on vous rappelle la date limite d’envoi d’une enquête d’un ton comminatoire alors même que la date n’est pas échue, la défiance palpable d’une hiérarchie qui tend  à considérer les inspecteurs come des exécutants de décisions prise en grand  secret, ce qui se manifeste notamment par des conseils d’inspecteurs où la parole descendante est la seule admise et où l’avis ou la mise en garde de l’inspecteur  sont vus comme un affront au DASEN .

Ce n’est fort heureusement pas toujours et  partout ainsi  mais là ou cela se produit on obtient des enfants qui apprennent moins bien, des parents d’élèves furieux et inquiets, des professionnels stressés et moins efficaces.

Non ce n’est pas normal que l’enfant ait peur de se tromper, que l’enseignant ait peur  de la venue de l’inspecteur, que l’inspecteur soit soumis à une pression  délirante, qui voudrait qu’il soit en même temps sur tous les fronts, et paradoxale qui exige  qu’il exécute sans mot dire et qu’il soit responsable dans  sa circonscription.

Nous vivons un paradoxe : l’Ecole est surinvestie et ses acteurs n’ont confiance ni en elle, ni entre eux. Peut-on surmonter cette absence de confiance ?

Pédagogiquement  les réponses sont connues depuis longtemps : dédramatiser  l’erreur, habituer les élèves à argumenter leurs réponses, privilégier le cheminement au résultat, refuser le redoublement. Peut-être alors, entre autres,  que les élèves français ne seraient plus ceux qui ont le plus grand nombre de non réponses aux tests PISA.

Ensuite le recrutement d’enseignants bien formés et bien rémunérés est une condition de leur reconnaissance sociale (pensons à la Finlande, dont les résultats sont excellents et  où les enseignants jouissent d’une grande considération dans la société). D’autre par des enseignants  bien formés savent ce qu’ils ont à faire et comment  le faire, apprennent à faire des choix pédagogiques  et expliciter leurs choix,  à gérer  le dialogue avec les familles.

De ce fait moins stressés et plus sûrs d’eux-mêmes ils peuvent aborder l’inspection comme  le dialogue entre deux professionnels à partir d’un moment de classe partagé. 

C’est là que l’expertise de l’inspecteur prend tout son sens, ce n’est pas celui qui a le statut d’inspecteur qui vient contrôler une conformité mais  l’expert qui va, dans un dialogue constructif,  travailler AVEC  l’enseignant.

Le management par les autorités académiques est aussi largement à revoir . 

Management par les chiffres : il faudrait déjà que soit posée la question de savoir à quoi servent quantités de données collectées chaque année et qui ne sont jamais exploitées. Rassurer : « tout le monde travaille », occuper du personnel à  compiler des données… ? 

Mangement par la pression : il faudrait que la posture « si ça fonctionne c’est grâce à moi, si ça dysfonctionne c’est à cause de vous » soit sérieusement remise en question. On cherche trop souvent des « coupables » au lieu de rechercher des solutions, ce qui conduit les acteurs, dans un réflexe de survie,  à « ouvrir le parapluie » au détriment de l’efficacité.

Ecouter et pratiquer un réel dialogue, mettre davantage d’éthique dans les relations professionnelles, à tous  les niveaux, sont indispensables à une école plus juste et plus efficace.

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