Cet article a été publié dans la revue N° 134.

Absent du code de l'éducation, le mot « bienveillance » n'est utilisé que deux fois dans les textes officiels (2001 et 2014) : « Nous voulons une école de la confiance, de l'estime de soi et osons le mot de la bienveillance » (phrase énoncée dans le contexte des résultats aux évaluations PISA qui montrent des élèves stressés, qui ont peur de se tromper dans un univers de compétition). Nous ne voulons pas une école de la baisse des exigences mais une école de la confiance et de la reconnaissance de ce qui fait l'estime de soi. 

 

La confiance totale de l'enfant en ses parents va lui permettre de construire la confiance en lui-même dans une relation de guidage mais aussi de  liberté indispensable. Entre guidage, liberté et autonomie, c'est la bienveillance qui est en question. Les enfants « cabossés par la vie » ont du mal à construire une confiance en eux, développent une méfiance, se construisent une carapace qui les mène jusqu’à refuser le savoir qui les mettrait en danger par une ouverture au monde. Bienveillance n'est pas complaisance ni connivence, c’est un équilibre dans le regard porté à l'autre. 

Actuellement, nous sommes dans une accélération de la communication, de la consommation. C’est une nouvelle production de repères dans le temps et dans l'espace qui implique une autonomie des acteurs dans un processus libéral, donc une plus forte culpabilité en cas d'échec. Les exigences éducatives viennent surtout de la demande sociale,  d'où la culpabilité des enseignants en cas d'échec des élèves, d’où les mécanismes de défense qui ferment la porte à des solutions (modification de comportements professionnels).

Albert Jacquard a déjà montré que dans la classe, les situations de compétition sont moins productives pour les élèves que les situations d'entraide. « Tous les enfants ont la capacité d'apprendre et de progresser ». A la « théorie des dons » s’est substituée celle « du handicap socioculturel » puis l'idée « d'égalité des chances » et de « réussite pour tous »  dans la loi de refondation. Il y a des enfants capables de réussir dans tous les milieux, mais tous les élèves ne rencontrent pas les mêmes obstacles. Comment aider les enseignants à comprendre les difficultés des élèves pour éviter la culpabilité ?

L’estime de soi arrive quand la difficulté est surmontée. Aider à dépasser les difficultés pour s’élever va avec bienveillance. Il est donc indispensable de passer d’une posture de jugement à une posture de compréhension des difficultés. La bienveillance doit prendre en compte la globalité de celui qui apprend et qui construit sa personnalité.

Il n'y a pas de bienveillance chez celui qui n'attend rien de l'autre. Des objectifs qui permettent de se dépasser mènent à l’estime de soi. L’éducateur bienveillant a des attentes élevées mais atteignables (Zone Proximale de Développement, Vigotsky).

Le rapport au savoir n'est pas le même pour tous. Les élèves ne comprennent pas toujours ce qu'on leur propose. L'école doit être explicite dans ses attentes, le professeur doit veiller à être compris. L'erreur est normale, c'est une trace de la difficulté pour identifier le processus cognitif qui a conduit à l'erreur. Les  jugements qui blessent sont à  éradiquer : une évaluation doit donner envie à l'élève d'améliorer sa performance. L’évaluation utile ne porte pas de jugement sur la personne dans sa globalité mais s'attache à des performances uniquement, rectifie et favorise l'estime.

L’école de la bienveillance est celle d’une culture partagée, d’un environnement culturel riche. La culture, les significations et le monde étaient là avant nous, donc à nous d’y faire entrer l'enfant: dans une part de culture non négociable mais en gardant une place pour les particularismes, en ne rejetant pas ce qui n'est pas partagé mais en le remettant à sa juste place (religions par exemple, en dehors du champ de la science et de la culture universelle). Le maître bienveillant doit donc être d’abord sûr de sa culture propre.

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