Tous ceux qui connaissent un peu l’Ecole, et ils sont nombreux, ont été sans doute sidérés en entendant le candidat Macron présenter son projet pour améliorer le système éducatif et répondre aux questions des journalistes.
Programme Macron pour l'école, décryptage... disruptif !
En apparence un projet résolument humaniste, fondé sur l’égalité des chances, sur l’engagement des enseignants, sur l’attribution de moyens supplémentaires, sur le renforcement des liens entre l’Ecole et la famille, sur la lutte contre les conservatismes, sur la plus grande transparence du système et même, cerise sur le gâteau, sur le combat contre l’école privée.
Vous en rêviez, il va le faire !
En réalité, l’analyse des propos fait apparaître un décor fantasmagorique construit uniquement sur quelques touches impressionnistes aux couleurs attirantes censées répondre aux attentes supposées de l’opinion publique.
Accorder une augmentation de salaire aux enseignants qui acceptent de faire des tâches nouvelles… quoi de plus naturel ? C’est une disposition légale inscrite dans le Code du Travail qui oblige un employeur à rémunérer les heures supplémentaires effectuées par ses salariés.
Mais il ne s’agit en aucun cas d’une mesure permettant d’agir sur les enseignants « défaillants », ce qui serait pourtant le seul moyen de lutter pour l’égalité en assurant à tous les élèves un service de qualité, et pas seulement à ceux qui ont la chance d’avoir un « bon » professeur, pleinement engagé dans sa mission.
Valoriser celui qui aura pour seul « mérite » d’accepter des tâches supplémentaires par rapport à l’excellent enseignant simplement investi dans son « boulot » correspond à un système de valeurs où la quantité prévaut sur la qualité, dans une vision très réductrice du métier d’enseignant dont la difficulté et la complexité méritent assurément davantage de considération.
Même si cette incitation peut répondre à quelques vocations individuelles, elle ne sera d’aucun effet là où le travail d’équipe serait la seule réponse opérationnelle pour construire collectivement une école associant le progrès des élèves et la réduction des inégalités.
Se focaliser sur le remplacement des professeurs absents auxquels les autres devraient quasi-obligatoirement se substituer permet non seulement de s’exonérer de responsabilités qui sont celles de l’Etat, mais surtout de réduire le dysfonctionnement de l’Ecole à un simple problème de logistique, évidemment plus facile à résoudre que l’élitisme débridé de l’institution scolaire.
Prendre la crise du Covid pour illustrer les différences dans la manière de servir des professeurs en affirmant que certains « ont disparu » est un argument d’un goût douteux qui ne correspond en rien à la complexité du quotidien, ni à la grande diversité des situations auxquelles les enseignants ont été confrontés pendant cette période en manifestant une grande résilience et un sens aigu des responsabilités.
Traiter indistinctement école, collège et lycée est une source d’ambigüité qui nuit gravement à la clarté du discours : par exemple, la mesure phare de remplacement des professeurs absents par leurs collègues n’a aucun sens à l’école primaire et son organisation telle qu’elle est évoquée au secondaire est extrêmement confuse, ce qui traduit bien la limite de l’exercice.
Dénoncer avec dérision l’inutilité du contrôle des inspecteurs « toutes les x années » semble avoir pour objectif de remplacer le regard qualitatif d’un expert par une évaluation fondée sur les seuls résultats des élèves comme si cet unique critère était suffisant pour comprendre et améliorer le fonctionnement de l’Ecole.
Donner en exemple l’image d’un professeur qui « change complètement les résultats des élèves d’une classe » par rapport à un autre « qui ne le fait pas » est une situation caricaturale qui n’est d’ailleurs pas vraiment exploitable car elle repose sur des comparaisons ne pouvant être faites qu’a posteriori.
Affirmer que la connaissance des résultats des évaluations par classe et par établissement est indispensable aux directeurs comme aux parents d’élèves s’inscrit dans une logique concurrentielle dont les effets seront dévastateurs sur les relations interpersonnelles alors que le principe fondamental devrait être celui de la confiance mutuelle. C’est aussi la mort annoncée d’une carte scolaire pourtant indispensable pour gérer la mixité sociale dans le cadre du service public.
Parler de « système cadenassé » est certes une expression qui voudrait traduire une volonté d’ouverture… mais encore faudrait-il préciser de quoi il s’agit et désigner les « cadenasseurs », en évitant de qualifier de « truismes » des critiques totalement excessives auxquelles aucune solution concrète n’est proposée.
Prétendre que les départs vers l’école privée sont liés aux problèmes de remplacement des professeurs dans le public est une fable qui masque un phénomène relevant essentiellement d’un refus de mixité sociale ou communautaire, tout comme de mouvements pendulaires entre les deux. Mais c’est une petite musique qui permet aussi de laisser entendre que l’école privée sous contrat serait meilleure que l’école publique.
Ce tableau allégorique peut paraître séduisant tant par son caractère en apparence généreux que par son côté disruptif fortement revendiqué.
Mais c’est la description caricaturale d’une Ecole au bord du précipice… qui va faire un grand pas en avant !
Fracassée sur la réalité d’un monde trop divers, la grande ambition d’une école de qualité dans tous les territoires de la République sera alors remplacée par la reconnaissance de quelques îlots d’excellence surnageant parmi les décombres d’une Ecole publique incapable de faire face à l’univers impitoyable du marché éducatif.
Il est permis de se demander comment les acteurs de l’Ecole pourront trouver dans cette sombre perspective des raisons d’espérer et de s’engager sereinement dans la grande concertation annoncée.