Les propositions et propos ministériels récents pour lutter contre les violences dans les établissements scolaires ont soulevé un sacré charivari d’indignations. A Nice les réactions à un projet municipal d’installer des portiques à l’école ont été tout aussi largement hostiles.
Au risque donc de surprendre, je vais afficher ici mon accord à une telle attention. Mais pour cela encore faut- il expliquer ce qu’est le « portique », trop méconnu de ceux qui gueulent...
Le portique –« stoa » en grec- est un endroit électivement conçu dans la cité pour la réflexion philosophique ; son fondateur, Zénon de Cittium, était en fait un métèque, un sémite hellénisé. Par la suite le mot « stoa » a donné les adjectifs « stoïcien » et « stoïque » pour désigner et une doctrine et une pratique vivante de la sagesse et de la pensée.
Ce portique a vu défiler d’éminents esprits qui ont peu à peu édifié les fondements de la philosophie autour du concept de « logos », le langage et la raison. Pendant six siècles, d’Athènes à Rome le stoïcisme a grandi ; Sénèque, Epictète, Plutarque, Cicéron, Marc Aurèle étaient des stoïciens. Rien moins.
L’on voit ainsi l’extraordinaire effet du portique.
Dans le livre second de ses Lettres à Lucilius, Sénèque affirme : « La philosophie n’est pas un art de complaire au public, une science de parade. Elle ne s’attache pas aux mots mais aux choses. Elle façonne et forge l’âme, ordonne la vie, réglemente les actions, montre ce qu’il faut faire, ce qu’il faut laisser. Sans elle, pas de ferme courage, pas de sécurité dans la vie.
Ainsi donc la sécurité est, dans tous les cas, garantie à qui observera ces principes ».
D’où d’ailleurs le nom choisi par nos actuels édiles de « portique de sécurité ».
En fait il faudrait que les écoles entières deviennent portiques et même que ceux-ci soient installés dans bien d’autres endroits de la ville pour les adultes; à Nice à la belle saison par exemple vers la Prom’ et la Place Masséna.
C’est dans un collège vers le port qu’avec l’accord éclairé du Principal un ami et moi-même avons créé un portique où nous conduisons régulièrement un groupe d’élèves à s’interroger, échanger, débattre. Nous savons de tels portiques installés ici où là de Nantes à Briançon. Leurs effets sont loin d’être négligeables tant les adolescents aspirent à parler de leurs troubles, de leurs émotions et affects. Le rôle des adultes est alors doublement de veiller au respect du cadre stoïcien et également de stimuler les capacités argumentatives des jeunes (si...alors ; mais, or.....donc ).
Déjà Montaigne, lui-même avait perçu l’intérêt du portique : « Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre et que l’enfance y a sa leçon, comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ? » Installés de la maternelle à l’université ces portiques permettraient de ménager un travail foncier pour détecter- c’est-à-dire découvrir, mettre à nu- l’aptitude à la réflexion et à la sagesse aiguisant ainsi la résistance aux cynismes du temps.
Un portique pour détecter, révéler la raison et l’intelligence et non pour détester.
Michel CHARLÉTY
IEN honoraire