En embrassant cette haute fonction pour les trente années qui devaient suivre, le jeune Inspecteur fut immédiatement envahi par le spectre de l’ennui à venir. Il en restait une petite dizaine à vivre encore lorsque, se dit-il, très franchement je ne me suis jamais ennuyé !


Pendant longtemps, la promotion du savoir, de la culture, ou bien encore la recherche avaient constitué les contenus cardinaux du métier. Ils étaient une fenêtre sur la rencontre de l’autre ; sur la voix humaine en somme.


Il fut un temps où le glas de l’ennui redouté résonna cependant: un matraquage technocratique et une expression plano maniaque, appuyée sur les technologies triomphantes du moment, avaient monopolisé le micro et prodigieusement assommé notre Inspecteur. Ce métier n’était peut-être plus pour lui ; ça devenait carrément ennuyeux, la pire des choses.


C’était sans compter sur la créativité qui, de ce jour, allait caractériser le pilotage du grand navire ! Flanqués de sbires très tendance, débarquèrent un jour de joyeux drilles obnubilés par la performance. Ils composèrent peu à peu une troupe si facétieuse qu’à nouveau l’on put se divertir dans les chaumières pédagogiques par l’observation du quotidien, du discours et des actes.


Quel beau métier décidément ! A la jonction du logos et de la praxis ; en d’autres termes : du dire et du faire.
Le paraître se mit à envahir toute la scène. Il requiert d’occuper une large surface ; donc d’être superficiel. Pour divertir les foules laborieuses, la pantomime fut savamment mise en mots et en scène. Vendre du vent n’est pas chose aisée ; il convient de faire preuve d’une ingéniosité dont les locataires de cabinets divers ne sont fort heureusement dépourvus en aucune façon. Les pires impostures sont par leurs soins promptement commuées en vérités du moment.
Le produit de tout ce zèle planificateur ne laissa personne indifférent : de ceux qui n’en pouvaient plus d’exaspération due à l’avalanche d’ordres et contre-ordres, à ceux qui jouissaient pleinement de cette latitude offerte par le désordre, désormais posé comme qualité essentielle, le nuancier présentait un fort potentiel.


Il est toujours plaisant de savourer avec quelle jubilation nos pilotes lolfologorrhéants assènent urbi et orbi le bien-fondé de leur vertueuse gestion ! On n’avait jamais autant perdu de temps, d’énergie et d’argent, et sur le fond jamais aussi peu produit de travail réel, que depuis le détournement artisanal du mot « gestion » - saine cela va de soi - l’élévation de la performance au statut de déité, et l‘avènement des groupes de pilotage bardés de prêtres désignés!
Au-delà des dommages collatéraux pour l’école, les enfants, leurs familles que créait toute cette joyeuse pagaille présentée sous les traits arrogants de la «modernisation des institutions », on découvrit un bienfait sans doute peu anticipé dans les hautes sphères : de réunions avancées puis reculées pour cause d’embouteillages sévères dans salles et couloirs comme dans les agendas, en conseils d’IEN finalement supprimés, le ciel s’était éclairci et libéra du temps ! Du temps pour resserrer les rangs. Du temps pour enfin pouvoir tenir des réunions syndicales sans plus ressentir désormais de stupides complexes ; et de culpabilité encore bien moins !


« Rien n’est pire que la réussite quand elle ne nous comble pas » écrivait Luc FERRY 1 La grande réussite du pilotage ainsi fagoté crée une telle turbulence de sillage qu’on voit errer dans les campagnes des groupes d’Inspecteurs dont les réunions, audiences et autres convocations ont été subitement annulées sans autre forme de procès. Pour un peu, ils constitueraient peut-être bien des associations de malfaiteurs au sens où certain ministre de l’Intérieur les qualifiait en son temps (groupes de plus de trois individus)


Et du même coup, les voici à l’abri de l’ennui. D’aucuns, et non des moindres, seraient bien avisés d’y songer....