Vendredi 21 novembre 2008

 

Monsieur le Ministre de l’Education nationale,

 

Veuillez permettre à un retraité de l’Education nationale de lancer un double cri d’alarme et d’adresser une requête à l’autorité ministérielle.

 

Un premier cri d’alarme : les mesures sur le point d’être prises ne peuvent qu’affaiblir et même détériorer le Service public d’Education ; à un degré tel que la profession et une large partie de l’opinion s’émeuvent très vivement. Les arguments qui les soutiendraient ne sont pas convaincants : avec un peu plus d’élèves et moins de postes et en replaçant les enseignants spécialisés des RASED dans les classes, la réussite scolaire serait accrue ; le report (annoncé à mi-voix) de l’âge d’accueil en maternelle préparerait mieux à l’approche du cours préparatoire.

 

L’absence d’une explication vraiment persuasive déroute, inquiète et révolte. Quant aux relais que sont le Recteur et l’IA-DSDEN de Strasbourg, ils se bornent à reprendre les slogans ministériels à l’identique, et de façon si terne et si triste qu’ils seraient mieux avisés de se taire.

 

En fait, personne n’est réellement abusé : les prétendues « réformes » en vue de mieux réussir sont commandées par des nécessités budgétaires et comptables. L’économie réelle se rappelle à tous bien sûr. Cependant, un pays qui ambitionne de continuer à figurer parmi les nations démocratiques et civilisées a le devoir de refuser de considérer les biens fondamentaux que sont, pour n’en citer que deux, la santé et l’éducation, comme asservis à la loi du marché, à l’instar de n’importe quelle marchandise. Si sa budgétisation ne peut être complètement ignorée, l’éducation d’un enfant par la puissance publique relève cependant d’un enjeu si capital pour le devenir de sa société qu’il doit se situer au-delà d’une contrainte comptable aussi impérieuse soit-elle.

 

Un second cri d’alarme : à Strasbourg, le 20 novembre, les manifestants étaient au moins 3000 (selon Arte de 2500 à 3500). La majorité d’entre eux étaient des enseignants du premier degré. Depuis une quarantaine d’années, on n’avait jamais observé un rassemblement d’une telle ampleur. Car l’enseignant alsacien du 1er degré est réservé, scrupuleux et légaliste. La spontanéité et la vivacité de son récent engagement tiennent à d’autres ressorts que le seul travail de préparation et d’incitation des syndicats. Des observateurs neutres y ont lu l’émotion, le ressentiment et la détermination des hommes et des femmes qu’il n’est pas correct de traiter par des jeux de mots et des boutades ironiques. La dérobade dans une saillie n’honore pas vraiment son auteur et interroge sur le sens de sa responsabilité. Car les enseignants souhaitent que soient arrêtées des mesures convaincantes leur permettant d’exercer leurs fonctions en vue de toujours plus de qualité et de réussite au profit de la Jeunesse de notre pays.

 

Une requête enfin : devant l’importance des réactions sensées suscitées par les mesures annoncées, ne serait-il pas de saine démocratie de suspendre ces dernières et d’inviter à une loyale concertation l’ensemble des institutions qu’elles impliquent ? Aucune d’entre elles – syndicat, association – n’est aujourd’hui indifférente aux difficultés économiques qu’ontà résoudre ceux qui gouvernent. Mais ceux-ci ne retireraient-ils pas un plus net bénéfice à rechercher et à construire les réponses aux problèmes actuels en préférant passer des accords, même partiels et modiques, plutôt qu’imposer des mesures qui choquent et endommagent ?

 

Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments convaincus de dévouement et de service.

 

Jean Arnould

Inspecteur honoraire,

Commandeur des Palmes académiques.