Les propos relatifs à de « nouvelles modalités » d’inspection (nullement définies au-delà de l’annonce) incitent à l’interrogation.

 

Dans le sillage de la mécanique de la « performance » appliquée aux élèves, ne peut-on imaginer une « performance » des Inspecteurs (faire du chiffre) attachés à mesurer la «performance» des professeurs en leur appliquant l’adage « à bon chat bon rat » ?

 

Idée novatrice : Inspecter un enseignant à une date d. Mesurer les résultats de ses élèves. Revenir à une date (d + x), et remesurer pour connaître l’écart. Les « bons » (élèves comme maîtres) auront de bons résultats. Ceux-ci dicteront de façon automatique le verdict de qualité professionnelle. Ceci quel que soit le lieu, c’est une certitude arithmétique. Car la certitude caractérise le « pilotage par les résultats ». Tautologie.

 

La procédure ainsi « rénovée » impose que le groupe d’élèves soit invariant, et qu’il en aille de même pour le maître qui assurera 100% du temps scolaire de la classe en question. Or c’est chose de plus en plus rare : comment mesurer dans ce cas sa part dans l’évolution de ladite performance ?

 

Il ne semble pas en effet que la mode soit à la moindre régulation dans le labyrinthe des services fractionnés. Ils sont au contraire de plus en plus « innovants » dans leur diversité.

 

En outre, les campagnes d’inspections ne se dérouleront plus qu’en Sept-Oct et Mai-Juin. Les Inspecteurs seront disponibles pour se consacrer à choses utiles : rejoindre des « groupes de pilotage » en qualité de « chargés de mission » afin de produire statistiques et Power-Points qui nourriront le Rectorat qui nourrira le Ministère qui alimentera la propagande de son choix du moment.

 

Quel sera l’intérêt de cette inspection ainsi « rénovée » ? Du point de vue du contenu s’entend. Mais est-il encore permis de s’interroger ?... La vérité de l’Ecole au quotidien est-elle celle que l’on souhaite entendre puisqu’on hésite, selon le cas, entre l’encenser ou la conspuer ? Ne lui préfère-t-on pas de bonne vieilles fictions populistes, un « Etre et avoir » qui serait « rénové » lui aussi ? Cette inspection « new age » nécessitera-t-elle du reste d’être assurée par des professionnels des questions éducatives ? Des contrôleurs de gestion, réellement rompus à l’exercice de l’analyse des flux, ne seraient-ils pas plus indiqués ? La « nouvelle » inspection ne requiert pas de connaître ce qu’est un élève ; pas plus que de connaître les programmes ; ellen’impose pas de savoir rédiger mais juste d’appliquer des pourcentages. Bref, le recrutement des Inspecteurs appelle lui aussi « rénovation ».

 

En définitive, sera-t-il encore bien nécessaire de se rendre dans les classes pour s’y caser tant bien que mal sur des chaises souvent trop petites ? A quoi servira dans cette fiction de rencontrer les professionnels et surtout des élèves puisque les uns comme les autres sont calibrés, enfermés dans un standard ? Belle occasion pour faciliter une autre gestion : celle si embarrassante des frais de déplacement. Il suffira aux maîtres d’envoyer deux fois l’an tableaux et relevés de notes. Ils recevront en retour un rapport d’inspection sans avoir jamais été vus, l’humain ayant déserté l’Ecole.

 

Notre métier doit-il obéir à la tyrannie bureaucratique dans laquelle des secrétaires généraux se découvrent apprenti-pédagogues pour « piloter » des dialogues de gestion ? Sommes-nous condamnés à subir le sort de cet esclave enchaîné prenant les ombres pour la réalité ?

 

Qu’est-ce qu’un Inspecteur qui coche des cases et remplit des tableaux ? Un scribouillard besogneux. Peut-il s’improviser analyste de gestion parce que l’Enarchie a modelé une pensée unique (donc une absence de pensée) dévolue à un seul culte, celui du dieu Xcel ? Paradoxe et contradiction se rencontrent... Qu’est-ce qu’une inspection qui n’est pas du cousu main consacré à cet enseignant-ci, dans cette classe-ci ? Un costume qui bâillera ou sera étriqué. Il est paradoxal que sur le leitmotiv « aide personnalisée / PPRE / traitement de l’hétérogénéité » on industrialise un prêt à porter institutionnel appliqué aux maîtres !

 

Peut-on parler d’expertise pédagogique quand enjeux et nature des savoirs enseignés ne sont plus abordés ? Quand la relation pédagogique ne pèse plus rien ? Quand la conception didactique sous-jacente à l’acte d’enseignement n’est objet d’aucun échange ? Quand tout le volet épistémologique (de la discipline enseignée comme de l’acte professionnel) est passé à la trappe ? Comme il devient usuel, nous serons alors prisonniers de l’outil, le nez dans le guidon, hors de tout acte intellectuel.

 

Ce tâchisme, ce « faire pour faire », est-ce cette inspection-là que nous voulons vivre ? Dont nous nous rendrons complices comme des soldats dociles ou des moutons (ce qui revient au même) ? Est-ce celle enseignée aujourd’hui à l’ESEN ?...

 

Discours d’un autre âge ? Sans doute. Mais quel privilège d’avoir pu vivre longuement l’inspection d’avant le temps de la LOLF !