Ah quel joli métier, quelle jolie fonction que celle d’inspecteur de l’éducation nationale, chargé de la déclinaison des grandes options éducatives légitimes du pays sur un territoire spécifique à la grande diversité, depuis le monde rural isolé jusqu’aux grandes banlieues de nos territoires urbains, creuset annoncé du ferment républicain et ciment du fameux « vivre ensemble » à venir pour nos futurs citoyens. Il sera sans doute nécessaire de transformer cette notion en « vivre avec » tant elle semble s’étioler au tamis de nos réalités sociales contemporaines.
Ce modèle de fonctionnement, dans une société normée, calibrée, équilibrée avait tout d’un modèle pondéré respectant avec aisance les normes posées et les appétences variées de l’élitisme républicain. Ce fut la réalité d’un temps, certes assez long, mais ne l’est plus…. Dans la conjoncture actuelle depuis quelques décennies notre société évolue très rapidement et les fonctions et référentiels doivent s’en accommoder et s’y accorder. C’est ainsi, et notre efficacité doit s’y conformer sous peine de marginalisation au regard de la diversité des personnes ou structures se mêlant d’éducation, si ce n’est d’instruction.
Mais que peut faire, quelle est la marge de manœuvre d’un IEN confronté à tout un ensemble de problématiques nouvelles dans sa sphère professionnelle ? Je ne citerai que quelques exemples assez éloignés au départ, de l’addition avec retenue ou de la relation sujet/verbe. Ainsi la politique de la ville, l’inclusion scolaire, le harcèlement scolaire, les PPMS (risques majeurs et anti-intrusion), les nouvelles règles d’urbanisme… sans omettre la perte d’autorité au profit de certains de nos partenaires (périmètres scolaires non concertés, commissions d’appel à la fonction parentale sans doute exagérée si ce n’est exacerbée…).
Mais alors me direz-vous, que fait, qu’a fait notre institution, notre maison, pour accompagner ses serviteurs dans l’accomplissement de leurs missions, devant souvent passer sous de nouvelles fourches caudines aux déclinaisons diverses ?
Et bien au risque de surprendre, voire de choquer, je dirais en toute simplicité qu’elle n’a pas laissé le vide s’installer quelles qu’en soient les motivations : au cours des années écoulées l’on vit fleurir toutes sortes de structures ou dispositifs censés accompagner ou aider celui ou celle qualifié(e), de cadre supérieur d’une réalité qu’il maitrisait de moins en moins.
Dans cette optique ont germé moult structures telles les EMAS, les cellules RH ou anti-harcèlement, les ESS, les COPIL, les GIP, PRE, ou autre CLAS… et donc une montée significative du nombre de postes « hors-la-classe » avec un enrichissement considérable des organigrammes. Ainsi le sentiment de répondre à toutes les nouvelles sollicitations sociétales était-il affiché et notre grand orchestre de procédures, de partenariats et de réponses à tout s’étalait. Mais qu’en était-il réellement, si ce n’est dans la lecture de l’organisation des services de l’état, mais à tout le moins du premier violon à l’échelle de la circonscription pour harmoniser son action par la connaissance des différentes modalités d’intervention dans tel ou tel cas, telle ou telle particularité au crible de son territoire ?
Dans une approche quelque peu réciproque, force est de constater que nombre de nos partenaires et interlocuteurs, impliqués dans la problématique éducative, nous trouvaient parfois aussi très abscons.
Ainsi donc s’est-on souvent trouvé dans une sorte de dialogue empêché, par la méconnaissance des différentes spécificités professionnelles de gens devant agir en synergie et par voie de conséquence une sorte de sentiment d’isolement pour tout IEN dans l’accomplissement de sa tâche. Simultanément et parfois donc sans concertation, ces structures ou dispositifs pouvaient aussi éprouver une sorte d’autonomie si ce n’est d’indépendance à l’égard de la circonscription pour arbitrer une problématique, pouvant éventuellement décider, trancher, choisir, sans communication avec l’IEN et plaçant ce dernier devant le fait accompli.
Et donc par là même, cette double méconnaissance des cultures professionnelles, d’un minimum de socle commun dans la résolution d’un problème, d’une mauvaise identification des possibles ou des aspects indiscutables d’une problématique, conduit-elle souvent à ce qui en mécanique est qualifié d’auto-allumage, le moteur vrombit sans que le véhicule ne bouge.
Alors que reste-t-il comme levier d’action pour l’IEN isolé, dans si ce n’est une injonction paradoxale mais à tout le moins un partenariat endogène et exogène difficilement opérationnel, hors parfois un repli sur la stricte définition de notre référentiel de compétences ?
Le problème d’une telle conjonction situationnelle pourrait être de faire paraître le rôle de l’IEN comme décalé au regard de nouvelles réalités sociétales, pouvant même conduire certains à penser que nous serions maintenant un anachronisme administratif au regard du monde moderne, oubliant malgré l’emploi du terme à l’envi qu’il s’agit de faire vivre un territoire : de l’animer, d’impulser et de conduire une déclinaison locale d’une politique éducative nationale dans une de nos plus grandes qualités, la loyauté au service de nos institutions dans l’intérêt des élèves.
Je ne peux résister à une modeste comparaison dans le cadre de la réforme de l'État entre circonscription et département. Cet échelon administratif, dans l’esprit de certains, était voué à disparaitre au profit des régions il y a peu. La réalité nous a montré qu’il n’en est rien, le département demeurant un support historique de proximité pour les populations par son maillage territorial et l’identification de ses responsables.
Il me semble, modestement, que notre fonction s’inscrit aussi dans ce cadre, sans céder aux sirènes d’une atomisation peu fonctionnelle, et recherchant toujours une plus grande efficacité par-delà l’efficience affichée.