Mardi 10 octobre 2023, un message s’affiche sur le téléphone portable : « Madame l’Inspectrice, j’ai besoin d’échanger avec vous, quand puis-je vous appeler ? »
Ritournelle habituelle.
Madame A est coordonnatrice d’un des 3 PIAL de la circonscription : « 48h, il nous manque aujourd’hui 48h pour couvrir les besoins des élèves en situation de handicap sur le secteur ».
En juillet nous avions pourtant tout organisé, l’ensemble des besoins était couvert. Oui, mais, c’était sans compter sur :
- les notifications MDPH arrivées durant l’été,
- les élèves ayant déménagé et surtout emménagé sur le secteur,
- les AESH ayant trouvé un emploi plus rémunérateur ou ayant simplement décidé de jeter l’éponge, de laisser tomber ce métier précaire, qu’elles occupent sans formation, et qui ne les rémunère pas à la hauteur de ce qu’elles engagent comme énergie.
Bref, un sacré bazar s’est glissé dans les magnifiques tableaux Excel propres et nets de début juillet.
Nous nous penchons encore sur ces vilaines grilles, sélectionnant les heures attribuées aux élèves, essayant d’associer AESH et élèves, et tentant vainement d’avoir une attention pour la RH. Et les besoins éducatifs particuliers des élèves me direz-vous ? Vaste fumisterie que cette belle expression, pourtant porteuse de si belles intentions… Et j’en veux pour preuve la suite :
Appel de l’IEN aux services chargés du recrutement des AESH :
- « Mme Carré, (ou Cubique ?), le PIAL est en difficulté, nous aurions besoin de 2 à 3 AESH supplémentaires pour couvrir les besoins, »
- « Mais Mme l’Inspectrice, si je regarde les tableaux transmis, vous êtes à +2. »
L’explication donnée est hallucinante :
- « Les AESH en congé longue maladie et en congé maternité sont comptabilisées dans les moyens disponibles »,
- « Ah oui mais elles ne sont pas disponibles ! »,
- « C’est ainsi, puisqu’elles ne sont pas remplacées… »,
- « Mais elles ne sont pas présentes et je ne peux donc pas les mobiliser ! »,
- « Et puis vous couvrez les besoins des élèves notifiés AESH mutualisée à hauteur de 6 heures, c’est 3 heures maintenant. »
Et là, le service dédié, certainement sur ordre hiérarchique, a décidé d’imposer le volume horaire d’accompagnement de ces élèves et n’en a informé… personne !!!
Les bras m’en tombent, la mâchoire se décroche, ma petite voix intérieure me glisse (clin d’œil à mes amis du grand Nooord, les initiés comprendront) : « Ferme eut bouc tin nez y va caire eud dan ».
L’argumentaire est censé me convaincre ; « débrouillez-vous » avec les moyens que l’on vous donne et ne venez pas me parler de contraintes de territoire, ni d’humain surtout, surtout pas d’humain, vous m’embrouilleriez les neurones ! Je ne suis pas programmée pour répondre à cela !
Bon, bon, bon, je cherche la baguette magique que l’on a certainement glissée dans les magnifiques diaporamas présentés à l’IH2EF sur l’école inclusive. Je ne la trouve pas, un oubli sans doute !
Lundi 16 octobre : appel de Mme Carré (si, vous savez, la dame des services…) : « Mme l’Inspectrice, nous venons de recevoir une mise en demeure de la famille de Léna H., vous devez absolument assurer son accompagnement à hauteur de 24h… ». Les bras m’en tombent, la mâchoire se décroche et ma petite voix intérieure me glisse (vous avez compris…) !
Bon, puisque je dispose de 4 AESH fantômes, je vais bien pouvoir attribuer l’une d’entre elles à l’accompagnement de Léna !
Vendredi 24 novembre : nouveau message d’une directrice : « Madame l’Inspectrice, j’ai besoin d’échanger avec vous, quand puis-je vous appeler ? »
Ritournelle grinçante.
« Julien, 4 ans, présentant des troubles du comportement, violent avec les autres enfants, vient de jeter une chaise sur un autre élève alors que nous étions à la bibliothèque municipale, a violenté son AESH qui tentait de le maîtriser, et s’est précipité à l’extérieur en courant. Nous avons réussi à le ramener mais l’équipe est sous le choc, les élèves traumatisés, et nous ne savons plus comment faire avec cet élève. »
Honnêtement, moi non plus ! Je n’ai toujours pas retrouvé cette fameuse baguette magique…
Mais je ne le dis pas, je compatis, j’accompagne pour la 25ème fois cette équipe : faits établissements, déplacement de la psyEN, rencontre avec la famille solidement installée dans le déni. Malgré l’accompagnement par l’ensemble de l’équipe de circonscription et les partenaires, les tentatives pour mettre en place différents outils qui lui permettraient de gérer au mieux sa frustration, nous sommes démunis face au comportement de cet enfant qui souffre, des élèves de la classe qui souffrent, de l’équipe qui souffre mais qui pourtant s’accroche. Rien, nous ne disposons d’aucun dispositif efficace qui permette de sécuriser le parcours de cet élève (et des autres élèves de la classe par la même occasion)… Ecole inclusive, oui, à tout prix, mais à quel prix ?
Jeudi 11 janvier : rendez-vous de carrière programmé dans la classe de Mme M. 9ème échelon, PE expérimentée, un très beau moment de vie de classe. L’entretien fait état de solides inquiétudes quant à l’inclusion de Stan, élève pour lequel un diagnostic TSA a été posé, associé à un TDAH et qui ne dispose que (?) de 12h notifiées. « C’est dommage Mme l’Inspectrice, il est absent ce matin, vous auriez pu me conseiller. » Malgré mes différentes tentatives pour recentrer le propos autour de la maîtrise des compétences professionnelles, elle a besoin de déballer, alors déballons… « Vous savez, il est quand même très difficile de rester calme et d’assurer les apprentissages sereinement quand un élève vient vous lécher les jambes ! ». Une nouvelle fois je compatis, questionne et tente d’apporter les conseils attendus. Il faudra que je vérifie, il doit y avoir un grimoire dans les magnifiques diaporamas, je suis certainement passée à côté. Pourvu qu’ils n’aient pas oublié de me le laisser.
Lundi 22 janvier : nouveau message : « Madame l’Inspectrice, j’ai besoin d’échanger avec vous, quand puis-je vous appeler ? » Irritante ritournelle.
Mme A, coordonnatrice du PIAL, « Il nous manque 18h, j’ai contacté le coordo second degré mais cela s’annonce difficile, les AESH affectées au collège ne se déplaceront sur les écoles du secteur que sous certaines garanties (proximité du domicile, possibilité d’arriver après l’heure de début de classe pour accompagner leurs enfants à l’école, assurance de pouvoir retrouver leur poste au collège à la rentrée). » Pardon ? Allez, je retourne au front auprès du principal de secteur, repositionnons les modalités de fonctionnement du PIAL.
Mardi 23 janvier : Sujet réglé ! Ouf ! Nous avons « trouvé » ces 18h, pourvu qu’il ne nous tombe pas une mise en demeure dans 2 jours…
« Au fait ! Mme A, où en sommes-nous de l’accompagnement des élèves disposant d’une notification mutualisée ? » « Mme l’Inspectrice, aujourd’hui nous n’accompagnons qu’à hauteur de 1h30… ».
Bon, bon, bon, je me raccroche les bras et la mâchoire, peut-être que la mise en œuvre des PAS assurera à chacun des élèves en situation de handicap, la possibilité de bénéficier de la compensation nécessaire à ses besoins éducatifs particuliers. Optimisme, quand tu nous tiens !!!
Hermione – IEN CCPD –
Sorcière à ses heures perdues, sans baguette ni grimoire…