J’aurais voulu être…

Bien souvent, dans la progression (naturelle ?) d’un enseignant qui exerce des missions de maître formateur puis de conseiller pédagogique, la proximité de la relation professionnelle en circonscription, avec un IEN, crée souvent (naturellement ? implicitement ?) un désir d’embrasser à son tour une fonction d’encadrement au sein de notre noble institution.

Si c’est en regardant le forgeron, cent fois remettre sur le métier l’ouvrage, que naît cette idée du « pourquoi pas moi », si la représentation de la fonction est directement liée à cet individu qui l’habite/l’incarne près de nous, force est de constater qu’une fois le pas franchi, la conviction du «c’était pas exactement le film que j’avais visionné» se renforce en même temps que les emmerdes… arrivent.

Tout commence par une première expérience au centre de formation/formatage des inspecteurs dans cette bonne ville chère à nos deux Charles. Là, lors du séminaire d’accueil, le ton est donné : « on ne vous demande pas de réfléchir on vous demande d’obéir ». C’est un précepte qu’aurait peu goûté notre bon philosophe Alain qui définissait l’acteur de la cité de la manière suivante : « être citoyen, c’est savoir se montrer docile… et résistant » !

Depuis seize ans maintenant nous avons vu défiler : des ministres (un emploi quasi-saisonnier), des lois d’orientation, des réformes, deux socles communs, des programmes, des documents d’accompagnements, des attendus de fin d’année, de fin de cycle, des guides… Loin de moi l’intention d’exister reclus dans le « c’était mieux avant » mais quand même.

I have a dream : J’aimerais être un IEN dans un espace éducatif patient, laissant le temps au temps, loin des tourbillons médiatiques et politiques rythmés par la succession effrénée de triptyques “expérimentation-généralisation-abandon”.

Nous avons baigné dans des modules professionnalisant dédiés au pilotage par le résultat, à la conduite de projet, pour construire à l’échelle de notre territoire un plan d’action en circonscription ou projet de performance. La marge d’initiative qui était la nôtre s’est effritée et s’est trouvée sacrifiée sur l’autel d’une verticalité inégalée. Au terme pilotage se sont substitués les vocables gérer et administrer.

I have a dream : J’aimerais être un IEN à qui l’on reconnaît le droit dans son territoire, au regard de sa spécificité, de construire des réponses adaptées ancrées dans la durée. L’épée de Damoclès agitée par des DSDEN cristallisées autour du duo infernal “résultats des élèves (aux protocoles nationaux)/IPS” crée un malaise profond et un stress sans précédent. La machine à culpabiliser est lancée.

La collégialité n’a jamais été autant réaffirmée dans le travail des réseaux de territoires, des bassins, des instances départementales et académiques. C’est le temps de l’inter-degré, des séminaires de cadrage (pour ne pas dire recadrage), d’une communication resurfacée où sont proposés des éléments de langage. Assisterons-nous bientôt à des ateliers de pose uniforme des petits doigts sur la couture ?

I have a dream : j’aimerais être un IEN qui a été recruté pour ses capacités identifiées de management, d’expertise pédagogique, de pensée stratégique. Je suis capable de dire sans que l’on me dise quoi dire, je suis capable de présenter et accompagner des réformes en toute loyauté… mais à ma façon avec ma connaissance fine des acteurs qui font l’école.

Mes marges de manœuvre sont aujourd’hui réduites à leur plus simple expression.

Et j’aimerais aussi pouvoir me dire qu’au sein d’un département le collège des IEN nous permet de rompre avec cette solitude qui peut nous envahir parfois. Un lieu où naissent et se structurent des projets communs, un lieu de dialogue, d’échange, d’harmonisation, un lieu où se construisent les propositions qui seront ensuite présentées au directeur académique pour une cohérence territoriale départementale, un lieu sans pilotage A-DASEN.

Au temps du protocole d’inspections planifiées sur l’année qui facilitait la rencontre d’avec soixante-dix à quatre-vingt-dix enseignants dans le quotidien de leur champ d’exercice, il était possible de rendre compte aux directeurs d’éléments saillants des pratiques, points d’appui du plan de formation en circonscription. Le basculement en 2017 vers des rendez-vous de carrière nous fait entrer dans un format que n’aurait pas renié Jacques Martin dans sa célèbre émission « l’école des fans ». Nous obéissons au chant des SIRHEN en onze croix et 2048 caractères. Et par-dessus tout après les fameux quotas laitiers de la discorde, voici venu le temps des quotas d’appréciation car finalement tout le monde ne peut pas avoir décroché la bonification d’un an.

I have a dream : j’aimerais être un IEN libéré de ces pesanteurs ridicules, de ce format abscons et infantilisant. La confiance ne se construit pas dans un schéma étriqué qui vous contraint au prétexte d’une nécessaire cohérence entre avis IEN et avis final délivré par le recteur. Avis au surfeur, « le pas de vague » vous maintient sur le sable.

En guise de conclusion : S’il n’existe pas de modèle idéal de par la singularité et la diversité des profils d’inspecteurs, il ne faudrait pas que le chemin qui nous est tracé soit assorti d’un prêt à penser, dans un système où l’humain avec ses velléités, ses ambitions, ses demandes, ses questions, ses besoins ne soit plus entendu. L’inspecteur capable de penser par lui-même a besoin de sentir que l’institution lui fait confiance, le considère et le reconnaît dans sa professionalité. J’aurais aimé être cet IEN attentif spectateur de cette reconnaissance.

Léon, IEN contemplatif et dubitatif