ou quand les dysfonctionnements du système vous laissent entrevoir pleinement… l’infini !
L’exercice du métier d’inspecteur s’inscrit dans une dimension partenariale forte… Il n’a jamais été autant question de velléités collectives dans les ambitions des territoires académiques : collèges et inter-collèges d’inspecteurs, groupes de travail, réseaux. Nous avons vu « fleurir » depuis des années des référents violence, culture, sécurité, laïcité,… nous avons vu naître des équipes mobiles et porté sur les fonds baptismaux des dispositifs qui lient médico-social et éducation nationale (cf. EMASCO)…
Et pourtant, au quotidien, les collègues se disent esseulés, face à la construction d’une décision et son exécution, face à la gestion de situations de conflits et de violence dans les structures scolaires, face à la difficulté croissante dans la communication avec des usagers qui revendiquent avec véhémence leurs droits tout en ignorant leurs devoirs… L’IEN est un véritable couteau suisse qui invente tous les jours des solutions souvent bricolées en réponse à des défis qu’il ne peut relever faute de réels moyens. Et lorsqu’il est interpelé avec rudesse par une direction académique en demande constante de clarifications, de justifications, de comptes rendus circonstanciés, la responsabilisation se meut en culpabilisation. C’est de cette façon-là que notre institution manifeste son intérêt pour une RH dite de proximité !
Toute cette évolution n’a pas permis de renverser ce sentiment de mal-être et de profond isolement déjà bien installé chez les inspecteurs. Vous êtes accompagnés sans l’être réellement, vous pouvez vous appuyer sur des ressources qui ne sont porteuses d’aucunes solutions sérieuses. Vous construisez des réponses qui ne sont malheureusement que pansements sur jambes de bois. La coque du navire présente plus de trous à combler que vous n’avez de doigts et d’orteils !!!
Un enfant, frappe, tape, mord, renverse tout le mobilier. Après de très nombreuses tentatives l’équipe vous appelle au secours et vous tentez patiemment, dans le respect des instances règlementaires, de construire une stratégie de résolution qui implique de nombreux adultes, de nombreux partenaires. Les parents vous font confiance et comptent autant sur l’école qu’il se disent dépassés et épuisés par tant de démarches infructueuses, dans une temporalité défavorable… sauf que l’enfant lui est là et bien là ! Des délais contraints et incompressibles, des instances submergées, des structures qui présentent des listes d’attente interminables, des prises en charge et accompagnements qui ne confinent qu’à l’observation, et puis le néant. L’équipe est à bout, les enseignants craquent non pas parce qu’ils ne veulent pas de ces situations mais parce que ces situations les interrogent sur leur vrai rôle et leur fait naître un sentiment profond d’incompétence donc de dévalorisation de l’action. Combien d’excellents enseignants sont venus me communiquer leur profond désarroi et me conférer le statut de dernier recours pour ne pas dire escompter que je sois l’homme providentiel ! Vous vous escrimez à mobiliser très largement autour de vous mais… rien… vous videz l’océan à la petite cuillère.
Un élève avec injonction de soin en agresse un autre. Constat médical à l’appui, la famille dépose plainte et sollicite par écrit une mesure de protection de leur enfant via un changement d’école. Vous répondez à cette demande qui a une portée « conservatoire ». Pour la seconde fois, une information préoccupante est rédigée et la précédente transformée en signalement (article 40). Le commissariat procède aux investigations et interrogatoires. La situation est suffisamment grave pour que vous puissiez compter, après avoir « fait le job », sur un contact avec un conseiller technique, voire le cabinet du Dasen. Qu’en est-il ? Rien, nada… Aide toi… mais ne te trompe pas!
Par contre dans un retour descendant de toute autre situation, vous devrez vous épuiser : écrits, médiations, mesures… Et ce, plus vite, que cette enseigne commerciale de vente par correspondance qui prônait une livraison en moins de 48 heures.
Les rdv de carrière : il est question d’une procédure qui ressemble aujourd’hui étrangement à un carcan administratif normé, distillant au compte-gouttes les appréciations, dans une malsaine politique de quotas. Vous devez évaluer mais tout en respectant des volumes acceptables de satisfécits décernés. Il vous faudra classer les performances individuelles pour les fondre dans un pot commun qui ne sanctionne pas la qualité réelle de l’enseignant mais répond à une quotité d’avis excellents-très satisfaisants-satisfaisants déterminée à l’avance. Une carte à gratter : vous découvrez l’avis final et vous adaptez le compte rendu en conséquence.
Evidemment, les recours pleuvent et c’est vers vous que les regards vont se tourner, vous qui êtes sur le terrain.
Un DASEN justifiait cette pratique pour, ne pas avoir à me « déjuger » par la suite ! Mais qu’il le fasse, c’est après tout son rôle. A quelques encablures de la fin d’une carrière, fini pour moi la bride des appréciations contingentées.
Et que dire de ce concept de solidarité hiérarchique réclamé à tout instant par nos décideurs et supérieurs hiérarchiques ? Cette solidarité peut-elle se muer, au besoin, en soutien de l’institution en direction de l’inspecteur ? J’ai de sérieux doutes. Les jeunes collègues qui entrent dans ce métier avec beaucoup de courage et de convictions témoignent déjà d’un malaise qui s’installe. L’un d’entre eux m’indiquait, au détour d’un échange, qu’il était heureux d’avoir terminé la journée sans pépin à régler, sans conflit à gérer, et qu’il lui arrivait souvent de penser au lendemain avec la chute des prochaines « tuiles ». Il manifestait son incompréhension d’une hiérarchie invisible quand tout va mal, une hiérarchie peu encline à « distribuer des bons points mais plutôt retirer des images » (sic).
Un syndicat enseignant vous communique une mesure importante actée par le DASEN susceptible de modifier les conditions de mobilité des PE, alors que c’est une information contraire qui vous avait été communiquée en conseil d’inspecteurs, information que vous aviez relayée auprès de vos directeurs en réunion. Jusqu’ici rien d’étonnant !
Une décision de profilage de poste, qui impacte votre circonscription, intervient sans que vous ayez été consulté. C’est ainsi. Allez-vous nourrir une amère impression de discrédit ? Possible mais il ne faut pas, les instances vont vous expliquer que vous êtes toujours l’interlocuteur qui conseille pour un territoire et que votre avis compte.
La conduite du changement telle que définie par le politique, passe par la capacité de ses cadres à déployer et accompagner la kyrielle d’incessantes mesures dans un processus d’une verticalité inégalée. Il ne vous est plus demandé de croire… mais de pratiquer. Ici, ce sont les enseignants qui volent à votre secours. Certains confient: « nous n’aimerions pas être à votre place » (vous savez… entre le marteau et l’enclume).
Un recteur (désormais honoraire) expliquait il y a de cela quelque temps que, si nous nous trouvions dans une forme de conflit de loyauté, mieux valait « aller vendre des glaces au bord des plages, l’été ». Une manière intéressante de mettre « au parfum » celles et ceux qui vont embrasser la fonction ? Attention, tout de même, le citron est un peu acide cette année !
Bob, IEN CCPD qui n’a pas encore jeté l’éponge