Boussole

Le programme de madame Le Pen s’inscrit, de manière plus dissimulée, dans la continuité des propositions formulées lors des précédentes élections ; celles-ci ont souvent été qualifiées d'ultralibérales, mais elles relevaient surtout d'un populisme échevelé. Le programme 2022 s'inscrit dans une volonté claire de mise au pas des personnels d'éducation et ne vise en rien l'amélioration du système éducatif.

Mise à jour le 15/04 : première contribution de nos lecteurs

 Projet éducatif de Mme Le Pen, entre régression et mépris

Il parie essentiellement sur une baisse de confiance des français dans cette institution fondamentale qu’est l’École. Il s’attache tout particulièrement à accélérer la défiance envers le système éducatif. Il révèle enfin une vision très régressive, excluante et répressive de l’Education

Les mesures de discrimination positive telles que les dédoublements apparaissent destinées en priorité aux familles issues de l’immigration afin de systématiser leur assimilation.
Les buts sont clairement définis :
- renforcer dans les familles l’attachement à l’instruction publique et à la culture française ;
- faire accepter les codes culturels et sociaux français ;
- lutter contre les pressions politico-religieuses qui s’exercent sur les enseignants ;
- éduquer à la laïcité afin de résorber le retard des élèves.

L’Ecole n’est sans doute pas irréprochable, et elle est même marquée par une évidente difficulté à compenser les inégalités sociales. Pour autant, il convient de porter un regard objectif sur son efficacité sans prendre en compte de manière exclusive et orientée des comparaisons de chiffres traduisant des différences marginales. Par le pseudo-constat objectif qu’elle propose, Mme Le Pen s’affranchit de toute analyse de causalité qui serait pourtant la seule manière de proposer des solutions à même de faire évoluer les compétences des élèves.

Si dans l’Histoire de France, l’Ecole a contribué de manière symbolique forte au « redressement » du pays dans des circonstances exceptionnelles, la réalité contemporaine est bien différente. Alors que l’Ecole est naturellement confrontée aux phénomènes qui touchent la société, comment imaginer qu’elle puisse se refermer dans un univers aseptisé ? Dire qu’il s’agirait d’une forme de laxisme due à « la lâcheté de l’administration » est un jugement violent qui permet surtout de traduire de manière simpliste des problèmes dont la complexité est des plus difficiles à analyser.

 

LES MESURES

1 - Reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements, et renforcer l’orientation précoce des élèves, pour rétablir l’excellence éducative à la française.

1a – Si le contenu des enseignements ne pose pas de problème dans la mesure où les programmes sont déjà définis au plan national, la reprise en main des « modalités » interroge fortement avec une volonté affichée d’uniformiser les méthodes pédagogiques sous le prétexte de limiter les ruptures d’égalité entre les établissements. Il est à craindre que cette démarche flatte le vice de l’administration centrale qui nous a habitué à cette approche d’uniformisation des pratiques justifiée par un souci d’efficacité qui ne prend pas en compte la diversité des territoires.

1b – Pour pouvoir apprécier la proposition d’augmenter le nombre d’heures de cours au primaire, il faudrait en connaître l’ampleur mais surtout la répartition dans la semaine et dans l’année, car le problème du nombre d’heures est indissociable du rythme de vie des enfants. L’important n’est pas de faire plus, mais de faire mieux !

1c – Affirmer que la priorité absolue doit être donnée aux matières fondamentales est évidemment une forme de pléonasme… Y placer l’enseignement de l’Histoire de France est davantage un marqueur idéologique qu’un choix pédagogique car il est évident que de nombreuses disciplines concourent également à la connaissance d’une « histoire » commune telles que la géographie, les sciences, l’éducation artistique, l’enseignement des langues, l’éducation physique et sportive, etc… On peut parler ici d’une instrumentalisation de la discipline « histoire » pour une approche normalisante assez radicalement éloignée des pratiques usuelles des enseignants. L’histoire est vue dans le programme de Mme Le Pen comme un vecteur d’assimilation plutôt que de compréhension.

1d – Vouloir « renforcer l’orientation précoce des élèves pour rétablir l’excellence éducative à la française » est une proposition qui se place clairement dans un projet qui vise à renforcer le caractère déjà très élitiste de l’Ecole.
Il s’agit naturellement de veiller à ce que les élèves en difficulté ne freinent pas les progrès des autres, mais cette forme d’exclusion est bizarrement justifiée par des considérations économiques car la présence au collège d’élèves décrocheurs impacterait directement « les formations dispensées à partir du lycée ». L’orientation proposée dans ce programme correspond en fait à une sélection précoce qui risque vite de se transformer en une forme d’exclusion très éloignée des ambitions de l’École.

1e – Le baccalauréat (bac général + bac technologique) n’était accessible qu’à 20% d’une classe d’âge en 1970 alors qu’il est décerné aujourd’hui à 65% d’une génération. Mme Le Pen se désintéresse ouvertement du baccalauréat professionnel, ce qui traduit un évident mépris de ce diplôme qui contribue pourtant à améliorer les possibilités d’accès à l’enseignement supérieur et, de facto à l’emploi.
C’est une nouvelle fois le retour vers un passé idéalisé qui apparaît comme le moteur essentiel de l’analyse de la candidate. Elle affiche très clairement son incapacité à proposer des solutions orientées vers le progrès, se repliant frileusement dans des stratégies conservatrices.

1f – Mme Le Pen rejette toute forme de discrimination positive dans le secondaire et le supérieur. Selon elle, la réussite des élèves découlerait de manière exclusive de leur mérite. La situation sociale et le contexte d’enseignement dans lesquels ils se trouvent ne serait qu’un paramètre négligeable. Elle raye ainsi d’un trait de plume l’ensemble des études qui montrent de manière implacable et convergente le poids de l’origine sociale des élèves dans leur réussite scolaire. Elle néglige aussi tous les travaux qui ont montré l’intérêt de la mixité sociale. C’est pourtant l’articulation entre mixité sociale et scolaire qui pourrait être porteuse d’espoir et d’efficacité.

 

2. Sanctuariser les établissements scolaires et mettre fin à la doctrine laxiste en matière disciplinaire.

2a – Dire qu’il est nécessaire de prévoir des sanctions contre les comportements « antiscolaires » est une évidence à laquelle chacun ne peut que souscrire. Cependant cette assertion doit être rapportée à la politique sécuritaire de Mme Le Pen qui apparaît surtout fondée sur des stratégies de répression et d’exclusion.

2b – Laisser entendre que les conseils de discipline seraient laxistes, imprégnés d’une « culture de la dissimulation des difficultés disciplinaires par l’encadrement des établissements » est là encore un jugement violent qu’il est hasardeux de généraliser.
De la même façon qu’il paraît disproportionné d’installer des systèmes de vidéoprotection afin de garantir qu’aucun acte de violence ne restera impuni.
Cette forme de surveillance permanente des élèves, cette menace de sanctions de tous ordres et cette réaffirmation de l’autorité sous le contrôle accru des corps d’inspection… tout cela s’inscrit dans une vision quasi carcérale des établissements scolaires, très éloignée des valeurs éducatives de respect et de confiance que nous souhaitons promouvoir.

 

3. Revaloriser le métier d’enseignant du recrutement à la fin de la carrière.

3a – La suppression des INSPE au motif qu’ils seraient inefficaces comme l’affirmation selon laquelle ils diffuseraient « une idéologie délétère » est une accusation particulièrement grave et inquiétante qui fait clairement apparaître les motivations et les objectifs d’un tel jugement.

3b – La formation des enseignants par des pairs expérimentés, au sein des établissements scolaires, est une vision très réductrice de la formation professionnelle qui dans les métiers de l’enseignement comme dans tous les autres métiers de cadres ne peut se concevoir sans une solide formation théorique et une réelle complémentarité avec la pratique.
Il en résulterait nécessairement un appauvrissement de la compétence pédagogique des maîtres… mais il est vrai que cette proposition est totalement cohérente avec la mesure n°1 qui prévoit de « reprendre en main le contenu et les modalités d’enseignement », faisant ainsi des maîtres de simples exécutants.
Au-delà du caractère apparemment simpliste de cette vision de la formation basée sur la transmission par les pairs expérimentés, c’est un véritable affaiblissement de la capacité des enseignants à adapter leurs pratiques en fonction des contextes qui constitue la finalité de cette mesure. La normalisation des pratiques a toujours montré son inefficacité pédagogique.

3c – Madame Le Pen propose une revalorisation du salaire des enseignants de 3 % chaque année sur trois ans, soit 15% sur le quinquennat. Elle propose, non sans démagogie, de retrancher les quelque 7 milliards d’euros, que nécessiterait cette augmentation, au budget de l’administration de l’Éducation nationale. Cette mesure qui induit une fâcheuse opposition entre administration et enseignants, montre une méconnaissance totale des réalités du système éducatif où l’administration est au service des élèves et des professeurs. Elle est surtout irréalisable au regard des tensions réelles que l’administration connaît déjà pour gérer 12 millions d’élèves et plus d’un million de personnels. Cela apparaît enfin contradictoire avec les impératifs sécuritaires affichés par le programme de Madame Le Pen. La mise en œuvre de ce dispositif répressif de surveillance et de contrôle impliquerait pour l’administration des charges de travail nettement étendues.

3d – En plus de leur rôle « disciplinaire », les inspecteurs seront chargés de la titularisation des enseignants et d’une supervision plus fréquente pour augmenter le nombre de rendez-vous de carrière et d’inspections, afin notamment de revaloriser le mérite. Indirectement, cette mesure apparaît comme la conséquence de l’ensemble des précédentes. En effet, le rôle des inspecteurs serait réduit au contrôle de conformité, ramenant le système éducatif une quarantaine d’années en arrière. Avec un peu de cynisme, il serait possible de remarquer que l’ensemble de ces mesures rétrogrades s’inscrit remarquablement dans la démarche réactionnaire, nostalgique et haineuse du rassemblement national…

 

CONTRIBUTIONS DES LECTEURS

 

15:04 :

Le projet de Mme Le Pen est-il d’inspiration ultralibérale ?
Une telle affirmation pourrait laisser penser que les projets des deux candidats seraient finalement assez proches, avec une vision globalement fondée sur un désengagement de l’État.
Si les orientations de M. Macron sont évidentes en créant progressivement les conditions d’une ouverture du marché éducatif, rien de tel dans le programme de Mme Le Pen qui veut au contraire renforcer la mainmise de l’État sur l’École.

C’est d’ailleurs sa priorité clairement affichée : « reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements »
Car il ne s’agit pas pour Mme Le Pen de laisser faire n’importe quoi à l’École au risque de voir s’y développer des idéologies subversives.
Pour cela elle propose des mesures parfaitement cohérentes :
1 – Revisiter les contenus d’enseignement afin notamment que certaines disciplines comme l’Histoire ou la langue soient mises au service d’un projet politique.
2 – Définir des modalités d’enseignement qui seront les mêmes dans tous les établissements scolaires et exiger de tous les enseignants le respect de ces directives dont ils seront de simples exécutants
3 – Supprimer la formation théorique des enseignants devenue inutile pour remplir ce type de mission.
On notera au passage que la raison invoquée pour supprimer les instituts de formation viendrait du fait qu’ils « diffusent une idéologie délétère ».
Pour veiller à la mise en œuvre de cet enseignement standardisé, la mission des corps d’inspection sera renforcée afin d’exercer un contrôle de conformité qui permettra également de distinguer les enseignants les plus obéissants.

Mais le rôle de l’Etat souhaité par Mme Le Pen ne devra pas s’arrêter à ces considérations purement organisationnelles. Il concernera aussi deux domaines essentiels du système éducatif :
- D’une part une large gamme de sanctions afin de rétablir un régime d’autorité visant aussi bien les élèves, les familles, les enseignants et les chefs d’établissements. Des dispositifs de vidéoprotection et des visites d’inspecteurs permettront d’exercer une surveillance permanente.
- D’autre part, une gestion rigoureuse des flux d’élèves garantissant qu’aucun élément perturbateur ne vienne entraver les progrès des plus méritants, grâce à une orientation précoce évitant de surcharger les filières d’excellence.

Bien loin d’un projet libéral, c’est non seulement un projet étatique, mais surtout un projet régressif, celui d’une École refermée sur elle-même au service d’une idéologie prétextant l’égalité pour mettre en place un véritable asservissement des élèves et des maîtres. Si le terme n’était pas historiquement connoté on parlerait volontiers de totalitarisme pour qualifier la triste perspective qu’offre ce programme.

 

 

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